En cette ère de triomphe politique absolu, la synarchie qui avait
investi le cabinet Darlan proclamait les objectifs que ses auxiliaires
syndicaux avaient glorifié dans les colonnes des Nouveaux Cahiers en
pleine drôle de guerre. Ainsi Lucien Laurat avait-il signé, dans le
n° du 1er novembre 1939, un article piaffant d’impatience sur les
développements franco-allemands imminents, malgré son faux-semblant de
traitement du Reich en État ennemi : « Après la guerre il faudra gagner
la paix ». Le lecteur pourra aisément supprimer, pour mieux lire ce
programme commun, la phrase de pure convenance : « L’Allemagne, en
faillite avant même d’avoir déchaîné la catastrophe, le sera encore
plein plus après avoir perdu la Guerre » : « Seule l’unification
économique de l’Europe nous paraît susceptible de faciliter la solution
des problèmes économiques et financiers de l’après-guerre immédiat […L]e
passage de l’économie de guerre à l’économie de paix » ne trouvera de
solution « que sur le plan européen. Il s’agira de payer la note.
L’Allemagne, en faillite avant même d’avoir déchaîné la catastrophe, le
sera encore plein plus après avoir perdu la Guerre. L’Europe ne pourra
trouver les fonds nécessaires à sa restauration qu’en procédant à la
compression sévère de tous ses faux-frais, à la rationalisation de sa
structure économique. Là encore, la solution qui s’impose nous paraît
être la création d’une économie pan-européenne sur la base de certaines
réformes de structure à réaliser sur le plan intérieur des grandes
nations de notre continent. » [81]
Cette frénésie germano-européenne, affichée sans pudeur depuis
Munich, explosa dans la phase allemande ascendante de l’Occupation [82].
Elle n’a aujourd’hui pas droit de cité académique, car la passion
« européenne » a conduit l’historiographie dominante à entraver la
connaissance historique tirée des sources d’avant-guerre et de guerre.
Les auteurs et tuteurs de la bibliographie « officielle » du programme
des concours d’histoire de 2007-2009, tout à leur objectif d’expier le
NON au référendum de mai 2005, en endoctrinant les futurs enseignants à
coup d’« europtimisme » à prétentions scientifiques, ont postulé une
parenthèse de guerre 1939-1945 dans les plans « européens » : de tels
plans, présumés fort aimables et pacifistes avant-guerre, et au moins
aussi plaisants après mai 1945, ne pouvaient naturellement coexister
avec pareil conflit qualifié d’« idéologique » [83].
Ce choix, politique, idéologique et non scientifique, a eu pour condition sine qua nonune reconstitution a posteriori des
faits démentie par les archives originales. L’Occupation ne fut pas
caractérisée par un « trou noir » ou une « rupture » dans les plans
« européens » de la synarchie, qui avait été étroitement liée, dès
l’avant-guerre, au « clan Goering ». Les « milieux bien informés »
n’ignoraient pas ces liens, de plus en plus nettement perceptibles
depuis Munich. Le patriote Raymond Brugère, « seul diplomate »
démissionnaire le 17 juin 1940 [84],
avait comme ambassadeur à Belgrade (novembre1938-juin1940), « en la
personne de Neuhausen, connu certaines tentacules [des] groupes
allemands du système Goering » : Goering, délégué gouvernemental de la
sidérurgie, et Frantz Neuhausen, son « ami personnel » et consul général
d’Allemagne à Belgrade [85],
traitaient quasi ouvertement en Yougoslavie avec « Hippolyte Worms et
son équipe », adeptes d’« une politique bancaire prétendument
“réaliste” » [86].
L’Occupation ne fit que développer cette intense collaboration
d’avant-guerre, qualifiée d’« européenne » ou de « continentale », sous
tutelle allemande et en tous domaines. Elle permit aux partenaires de
poser des jalons décisifs pour l’« Union européenne » postérieure à la
guerre, y compris en matière de mariages de capitaux. Les réalisations
de ce temps furent dignes du texte du télégramme que Franz von Papen,
alors ambassadeur d’Allemagne à Ankara [87],
adressa à « [s]on ami de longue date Benoist-Méchin », qui se targuait
en permanence de la puissance politique de « [s]on groupe » (de
synarques), pour le féliciter de son maintien dans le cabinet Laval
d’avril 1942 : “Recevez mes meilleurs vœux pour le changement décisif
qui se dessine ces jours-ci dans l’histoire de la France. Je suis plus
que jamais convaincu que l’édification de la nouvelle Europe est
assurée, si nos deux peuples affrontent au coude à coude la rénovation
sociale de ce continent” » [88].
Il fallut simultanément s’adapter à la perspective de plus en plus certaine - depuis la mort du Blitzkrieg - de Pax Americana et d’intégration de ces plans aux plans « européens » des États-Unis [89].